Un employé de Pôle Emploi décrit ses conditions de travail

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Le Monde a publié un text écrit de la main d’un conseiller de Pôle Emploi racontant ce à quoi ressemble une de ses journée de travail. En poste chez Pôle Emploi depuis huit ans, Bertrand (nom d’emprunt) a rédigé ce texte pour dénoncer les conditions de travail particulièrement difficiles au sein de l’agence pour une rémunération de 2 000 € bruts sur 14.5 mois.

« 6 h 30 : je me lève.

7 h 30 : j’arrive au travail. Je connecte mon PC sur ma session. Quinze minutes plus tard ma session s’ouvre enfin ! “Ecran bleu”, j’attends que Novell Zenworks 7 ait lancé mes applicatifs en espérant que tout fonctionne cette fois-ci !… tout fonctionne (pour le moment).

7 h 45 : je lance en priorité ma boîte mail pour vérifier que je n’ai pas des mails “urgents” à traiter pour hier… J’ai une dizaine de mails que j’arrive à épurer. Il m’en reste une dizaine, on verra plus tard. Je dois finaliser le travail de montage de l’Action de formation préalable au recrutement (AFPR) [dispositif qui prévoit déformerun chômeur non rémunéré en entreprise avec une promesse d’embauche à la clé]que je n’ai pas eu le temps de faire hier.

Je viens souvent à 7 h 30, même si Pôle emploi ne m’autorise à badger qu’à partir de 7 h 45. On a une activité contrainte de 8 h 30 à 16 h 30. Venir avant me permet de traiter les dossiers en retard. On peut déclarer jusqu’à une quinzaine d’heures supplémentaires et poser des jours de récupération. Au-delà, les heures sont écrêtées. En 2012, j’ai perdu ainsi une quarantaine d’heures de travail.

Rémunération de formation Pôle emploi (RFPE), demande d’aides aux frais associés à la formation (Dafaf), Jourform [qui permet decalculerle nombre de jours ouvrés entre deux dates] et Viamichelin [qui permet decalculerla distance entre le domicile du demandeur d’emploi et son lieu de formation]qui plantent en permanence… Mais on est obligé de travailler avec ces outils, même si GoogleMaps est plus rapide.

Trente minutes après, il est temps que j’aille enfin (re-)consulter mon planning pour vérifier que, depuis hier 17 h 30, il n’a pas changé… et il a changé : je suis finalement en entretien individuel diagnostic (EID) [l’entretien d’inscription des nouveaux chômeurs]. Nos responsables changent souvent l’organisation de notre planning sans nous le demander. J’ai trois rendez-vous de cinquante minutes programmés dans la matinée, alors qu’ils nécessiteraient 1 heure de temps, voire 1 h 10.

[Le planning des conseillers Pôle emploi est organisé en demi-journées, chacune consacrée à une activité. Au sein d’une agence, les conseillers sont normalement censés tourner sur tous les postes. Dans une semaine type, Bertrand passe une demi-journée à traiter des dossiers d’indemnisation des chômeurs en “back-office”, deux à l’accueil de l’agence et le reste à inscrire les nouveaux chômeurs ou à recevoir certains des 380 chômeurs de son “portefeuille”.]

Mes trois rendez-vous s’enquillent. 9 h 10, 10 h 20, 11 h 10 : je ne sais pas, je ne sais plus, je suis déconnecté de l’espace-temps… Je me répète machinalement.

11 h 30 : le “manac” [le responsable de l’équipe d’accueil] m’informe qu’à cause du surbooking en EID (douze conseillers de prévu pour quatorze rendez-vous toutes les cinquante minutes) je dois recevoir un quatrième rendez-vous qui attend depuis 10 h 30. Je le reçois, je l’inscris, tout va bien cette fois-ci, il s’en va… Pour maintenir notre taux de remplissage, les responsables surchargent les rendez-vous, en espérant que tous les chômeurs ne viennent pas. Parfois, ils nous appellent en renfort quand nous sommes en back-office.

12 h 45 : je pars en pause déjeuner pour normalement quarante-cinq minutes. Cet après-midi, je dois reprendre en gestion de portefeuille (GPF) [activité de réception et de suivi des chômeurs du portefeuille] à 13 h 30. Dans quel bureau ?[les conseillers Pôle emploi n’ont pas de bureau attitré.] On verra bien tout à l’heure, j’ai faim, j’ai soif.

13 h 15 : alors que je débauche, une collègue me sollicite pour une aide à la mobilité que j’ai commencée la semaine dernière. Elle en profite pour m’interroger sur le CUI-CAE[contrat aidé]de M. Azer. J’en profite pour lui demander des informations sur les orientations des travailleurs handicapés. Rien n’est clair, rien n’est officiel, tout n’est que “bruit de couloirs”, mais je prends même sur mon temps de pause…

13 h 25 : me revoilà à la cuisine, j’y ai perdu quelques collègues qui ont couru vers leur poste de travail. Je finis de déjeuner à grande vitesse (DGV).

13 h 30 : je m’aperçois via GOA [lelogicielqui permet aux conseillers de l’accueil designalerl’arrivée des chômeurs convoqués]que mon premier RDV est arrivé. Il a été positionné par la plate-forme téléphonique pour une durée de… cinq minutes. Il faudrait au moins quinze minutes pour recevoir les chômeurs. Dans le doute, je consulte ce planning de RDV et je me rends compte que je vais être sur les dents tout l’après-midi ! Malgré mon alerte auprès des équipes locales de direction (ELD), personne n’est en mesure de pouvoir m’aider… Je me débrouille comme je peux. Après tout, je suis autonome (comprendre débrouillard et magicien) !

14 h 00, 15 heures, 15 h 05, 15 h 25, 15 h 30… Je ne sais toujours pas, je ne sais toujours plus… Je continue malgré tout, mon retard s’accumule : je veille à ne pas dépasser quinze minutes de retard.

Je reçois ou j’appelle par téléphone entre sept et huit chômeurs par demi-journée. Je réponds aussi aux mails. Etant donné le temps dont je dispose, je ne peux pour l’instant que réaliser les convocations obligatoires [au quatrième et neuvième mois de chômage] et parler à ceux qui me sollicitent. Les autres, je n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger.

Dans notre agence, il y a toujours entre trente et quarante demandeurs d’emploi qui attendent à l’accueil. Et puis, il y a tous les chômeurs qui sont convoqués mais qui ne viennent pas, alors qu’on leur a envoyé une convocation et qu’on leur a rappelé la veille par SMS leur rendez-vous.

Je dirai que la moitié des gens ne viennent pas. On est censé les rappeler avant de leur envoyer un avertissement avant radiation. Mais je ne le fais pas : on les a déjà prévenus par plusieurs moyens. Ils trouvent souvent une façon de se faire réinscrire en faisant un recours auprès du directeur d’agence ou du médiateur.

D’autres collègues me sollicitent parce que je suis correspondant local informatique (CLI) pour des demandes d’interventions. Le changement de toner, le papier coincé, les câbles débranchés, les néons qui clignotent que je me vois obligé de débrancher. Je m’impose électricien, plombier, femme de ménage…

16 h 14 : mon dernier rendez-vous. J’avais espéré qu’il ne viendrait pas. Je le reçois pour les trente minutes réglementaires. Allocation de retour à l’emploi (ARE), allocation de solidarité spécifique (ASS), aide fin de droit, activité reprise, activité perdue, conditions d’ouverture de droits (COD), formations prévues au programme régional de formation (PRF), rémunération de fin de formation (RFF ou R2F pour les habitués) [autant d’acronymes administratifs avec lesquels jonglent quotidiennement les conseillers] : j’essaie de répondre à toutes les questions, car j’ai la chance d’avoir été formé à la double compétence[indemnisation et placement des chômeurs]et que c’est mon dernier rendez-vous de la journée !

17 heures : j’ai terminé ma journée marathon, sur les rotules. Je débadge et récupère mes affaires mais… il y a toujours un “mais”, on me coince dans le couloir pour encore m’interroger sur l’informatique, sur les aides à la reprise d’emploi, sur les CAE, sur la convention d’assurance chômage, etc.

17 h 20 : vingt minutes après avoir débadgé, je quitte enfin les locaux en ayant commencé à planifier ma journée de demain… Pas d’inquiétude, je serai encore en EID le matin, puis d’accueil relation client (ARC, l’accueil de l’agence) l’après-midi. J’aurai très certainement le temps de réaliser mes activités en toute quiétude et de répondre à toutes les sollicitations de mes demandeurs d’emploi… Demain s’annonce un jour comme les autres.

Ce métier me plaît, il me permet de mettre en application mes compétences en RH. Mais la charge de travail s’est considérablement alourdie avec la crise. En 2009, lors de la fusion [ANPE-Assedic], je faisais une demi-journée d’inscriptions par semaine, maintenant c’est quatre ou cinq. A l’époque, je pouvais aller dans les entreprises rencontrer les recruteurs. Maintenant, je n’ai plus le temps.

Depuis septembre, on a eu des renforts en CDD. Mais ils sont à l’accueil, alors que c’est le dernier endroit où il faudrait les mettre. Sans formation ou presque, ils doivent régler rapidement les problèmes des demandeurs d’emploi. Cela génère beaucoup de tensions et de violences.

La direction nous dit à peine bonjour, elle nous parle taux de remplissage, taux d’inscription dans les dix jours, taux de mise en relation. Je suis censé envoyer une offre à au moins 60 % des chômeurs de mon portefeuille tous les deux mois. Mais où est l’intérêt d’envoyer des annonces à des chômeurs qui peuvent déjà les consulter sur le site de Pôle emploi ?

On a vraiment des statistiques sur tout et n’importe quoi : la direction nous parle même maintenant d’un taux d’extinction de nos ordinateurs le soir en partant ! »

2 réflexions sur “Un employé de Pôle Emploi décrit ses conditions de travail”

  1. Se plaindre c’est une chose, mais le salaire et les avantages ne sont pas négligeables.. prime vacances prime de Noël parents et enfants 13eme mois. Le RTT.
    Vous n’êtes pas à plaindre.

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