Le 18 août dernier, la DARES publiait les chiffres clés sur le nombre de démissions en France. Il en ressort que le phénomène de la Grande Démission est un phénomène réel, mais dont la portée reste à nuancer.
C’est d’abord le dynamisme du marché du travail, lié à la reprise économique post COVID, qui a offert aux salariés français le loisir de vaquer vers un nouveau job. Le ciel s’annonce hélas moins clément pour la rentrée, ce qui risque de freiner la vague de démissions.
Un taux de démission au plus haut depuis 2008 : la vague américaine a-t-elle atteint la France ?
Le taux de démission rapporte le nombre de démissions au nombre d’emplois salariés. Selon l’étude de la DARES, il a atteint 2,7 % en France au 1er trimestre 2022. C’est son niveau le plus haut depuis la crise financière de 2008-2009. Au troisième et quatrième trimestres 2021, la barre des 500 000 démissions a ainsi été franchie.
Ce phénomène de démissions massives est vite comparé au “Great Resignation” vécu par les entreprises américaines. Aux États-Unis, plus de 38 millions de personnes ont quitté leur emploi en 2021. Le phénomène de « grande démission » en France n’est pas encore comparable. À titre de comparaison, le taux de démission aux États-Unis se situait, fin 2021, à 3%. Il nous reste donc un peu de marge avant d’en arriver là en France.
Des démissions qui révèlent le dynamisme du marché de l’emploi
Selon la DARES, le taux de démission élevé, en France comme aux États-Unis, traduit d’abord un marché de l’emploi dynamique. Ce taux est naturellement plus élevé en période de reprise économique qu’en période de crise, car les salariés savent qu’ils trouveront facilement du travail. Les analyses menées autour du phénomène de la Grande Démission américaine montrent que celle-ci est étroitement liée à un phénomène de concurrence entre les entreprises. Celles-ci débauchent les salariés en poste, ce qui mécaniquement se traduit par des démissions, sans impact sur l’augmentation du taux de chômage. En France, selon la DARES, le retour à l’emploi des démissionnaires semble aussi très rapide : « environ 8 démissionnaires de CDI sur 10, au second semestre 2021, ont repris un emploi dans les six mois qui suivent ».
Une vague de démissions qui ne déferle pas sur toutes les entreprises
Les démissions touchent tous les secteurs et les typologies d’entreprises, mais dans des proportions différentes. La « grande démission » concerne d’abord les métiers dans lesquels les salaires sont bas et les conditions de travail, difficiles. Les salariés profitent d’un rapport de force inversé pour trouver ailleurs de meilleures conditions salariales, et changer d’emploi, souvent dans le même secteur. Dans un contexte de guerre des talents, les politiques salariales jouent largement dans la capacité de rétention des salariés. De nombreuses entreprises ont compris que l’augmentation des salaires était incontournable pour attirer et fidéliser en 2022 et ont révisé leurs grilles salariales.
La vague de démission est aussi plus forte dans les secteurs déjà concernés par les métiers en tension, c’est-à-dire, les métiers pour lesquels il y a plus d’offres d’emplois que de candidats à l’embauche. Ainsi, les secteurs de l’industrie et du BTP sont parmi les plus touchés par ce phénomène. Dans l’industrie manufacturière, le taux de démission est actuellement similaire à celui atteint au début des années 1950, ainsi que dans les années 1960 et 1970. Face à l’ampleur de la pénurie de main d’œuvre, les entreprises industrielles s’arrachent les profils qualifiés… ce qui alimente la volatilité des ressources humaines.
Au-delà des spécificités sectorielles, il faut aussi tenir compte de l’attractivité RH des entreprises et des nouvelles attentes des salariés. Les grands groupes sont ainsi les plus touchés par la vague démissionnaire. Sur les seules entreprises de 50 salariés ou plus, le taux de démission est parmi les plus élevés depuis 1993.
Dans ce contexte, les entreprises qui prennent soin de leurs salariés ont clairement une carte à jouer. Au contraire, les organisations qui refusent de s’adapter aux nouvelles attentes s’exposent à des départs. Par exemple, selon une étude réalisée par Vanson Vourne pour VMware, le taux de départ des salariés est plus élevé dans les entreprises qui contrôlent leurs salariés en télétravail.
Le phénomène démissionnaire va-t-il se tasser à la rentrée ?
Les avis divergent sur l’évolution du phénomène de grande démission en France. D’un côté, les perspectives économiques plutôt défavorables pourraient entamer la confiance des salariés et les dissuader de démissionner. Actuellement, le PIB, pénalisé par l’inflation, s’est contracté de 0,2 % au premier trimestre, et les pénuries de matières premières ne risquent pas d’arranger les choses.
De l’autre côté, la grande démission traduit une évolution profonde du rapport au travail. Les salariés qui ont vécu la crise sanitaire et les confinements ont repris goût à la liberté retrouvée en travail hybride, tandis que les jeunes entrants sur le marché du travail sont d’emblée plus soucieux de leur équilibre vie professionnel/vie privée. Les actifs souhaitent désormais que le travail s’adapte à leur vie, plutôt que l’inverse.
Certes, il est moins évident de démissionner en période de crise qu’en période faste. Mais les actifs français ont aussi pris l’habitude de composer avec les incertitude et les aléas qui caractérisent notre époque. D’après une étude Opinion Way pour Indeed, publiée le 24 mai dernier, 35 % des actifs interrogés auraient l’intention de démissionner. Chez les moins de 35 ans, cette proportion grimpe jusqu’à 42 %.
Pour les entreprises, brandir la menace d’une récession ne suffira certainement pas pour retenir les talents. Il faudra aussi innover pour réussir à recruter et à fidéliser les salariés.